Richard Thibault, président de RTCOMM
Il est faux de prétendre que toutes les crises se ressemblent. Quand vous aurez vécu une crise, vous n’en aurez vécu qu’une seule. Certains éléments peuvent vous sembler familiers d’une crise à l’autre, mais le contexte et les acteurs en présence rendent chaque crise unique. Tenter de l’étouffer n’a jamais été une bonne stratégie et pourrait même amplifier la crise. Les journalistes, surtout, seront toujours attirés par une histoire qui a des odeurs de crise. Aussi, lorsque cette dernière éclate, attendez-vous à de l’inattendu, surtout au fait que la crise arrivera plus vite que prévu, frappera sans doute plus fort que ce à quoi on s’attendait et durera plus longtemps que ce qu’on aurait souhaité.
Voilà pourquoi toute personne ayant connaissance d’une situation qui peut dégénérer doit en informer son supérieur le plus rapidement possible, lui procurer l’information exacte et obtenir des collègues l’information complémentaire si nécessaire. Au bénéfice des « sonneurs d’alarme », il est essentiel de mettre en place les mécanismes requis pour faire remonter l’information jusqu’en haut de la pyramide hiérarchique, en leur demandant d’attendre ensuite les instructions sur la marche à suivre. Cette mécanique devra être largement diffusée et connue dans l’organisation.
Malgré ce qui précède, tous conviendront que les modèles habituels de gestion d’une organisation sont grandement inefficaces en situation de crise, ce qui peut conduire à l’incertitude et au chaos. Mais le chaos peut être géré avec succès si on comprend bien ses origines et ses impacts. Voici les principales caractéristiques de la situation dans laquelle nous plonge la crise.
La tension et le stress: dans toute crise, les organisations se retrouvent dans un environnement stressant et tendu, parfois dégradé, ce qui apporte une immense pression psychologique, mentale et physique sur toute l’organisation. Même la décision la plus secondaire prise dans ces circonstances peut entraîner des répercussions catastrophiques.
La vitesse: la crise entraîne une réaction en chaîne qui secoue toute l’organisation, qui se déploie à la vitesse d’un feu de brousse, donnant peu de temps pour la réflexion et la consultation. Dans une crise, les mondes entrent en collision et le temps vient rapidement à manquer pour tout faire. Le pire moment pour s’organiser afin de gérer la crise est lorsqu’elle a éclaté. La seule issue est alors la réaction, et elle n’est pas toujours heureuse.
Le personnel: les bonnes personnes peuvent ne pas être disponibles pour répondre à la crise au moment où elle survient, ce qui amène souvent les gestionnaires de l’organisation, sans formation appropriée à la gestion de crise, et inexpérimentés dans ces circonstances critiques, à être projetés dans le chaos sans appui aucun. Sans les bonnes personnes, l’organisation qui va trébucher en temps normal deviendra totalement inefficace en situation de crise puisque les problèmes vont se développer de façon exponentielle.
L’organisation: les entreprises et les gouvernements ne sont pas toujours structurés pour gérer la crise. En fait, la hiérarchie organisationnelle qu’on y retrouve habituellement et la gestion en silos peuvent être des obstacles majeurs à une gestion de crise de qualité et à une réponse efficace menant au rétablissement de la situation. La flexibilité et la capacité d’adaptation aux situations nouvelles sont essentielles au succès de l’opération.
Les parties prenantes: la liste des parties prenantes et des nouveaux acteurs impactés chaque nouvelle journée que durera notre crise (acteurs qu’on avait peut-être tenté d’identifier lors des jours plus calmes) se développera vite et de nouvelles attentes nous obligeront à mettre rapidement en place de nouveaux canaux de communication. Les victimes, les familles, les organismes de réglementation, les fournisseurs, les clients, les hôpitaux et l’application de la loi solliciteront tous l’attention immédiate des gestionnaires.
La communication: les canaux de communication normaux peuvent ne pas fonctionner ou être surchargés en situation de crise, nécessitant de nouveaux canaux et protocoles qui doivent être rapidement maîtrisés. Voilà pourquoi, il est essentiel de les prévoir lorsque l’organisation navigue dans des eaux plus calmes. Chaque partie prenante identifiée aura des besoins d’information différents, nécessitera des porte-parole différents qu’il faudra identifier et former, ainsi que des outils de communication spécifiques à chacune.
Les médias: le leader en crise sait que les médias s’intéresseront très vite à la crise qui secoue son organisation et que leur intervention amplifiera les effets de la crise. D’autant plus que leurs premiers reportages, souvent non conformes à la réalité, mettront l’accent sur les problèmes et les failles dans la gestion de la crise.
Les crises se produisent de manière explosive, mais sont résolues par étapes successives. Cela dit, toutes les crises sont des problèmes, mais ce ne sont pas tous les problèmes qui sont des crises. Il faut donc être capable d’évaluer correctement la situation et alors, la gestion de crise devient la réponse concertée des membres de la cellule de crise, qui accomplissent au moment approprié les tâches prévues au plan. C’est ce qu’un gestionnaire éclairé, préparé et compétent fera en situation de crise.
On s’en doute un peu, une crise survient souvent sans qu’il y ait d’avertissement. Autrement, il s’agit d’une situation problématique qui peut tourner à la crise, mais qu’on a prévue dans un plan de gestion des risques et pour laquelle des mesures pour éviter le pire sont au plan. En effet, ce dernier nous indique comment atténuer le risque, à défaut de pouvoir l’éliminer. Toute organisation qui se dit ou qui se veut bien gérée doit posséder un tel plan de gestion des risques.
Lorsque la crise survient, il y a peu d’information, surtout au début. L’information disponible est alors souvent contradictoire, incomplète et changeante. De fait, la crise génère de la confusion que certains voudront même entretenir. En effet, la façon dont on gère la crise prend souvent plus de place dans les médias et l’opinion publique que la crise elle-même.
Un leader modèle en situation de crise
C’est dans ce contexte général qu’on « démêle les hommes des petits gars », comme le disait mon défunt père, et que le vrai leader peut sortir du rang pour mettre ses talents et ses capacités au service de son organisation. Un leader en situation de crise doit savoir inspirer une vision qui mobilise ses équipes en utilisant pleinement ses connaissances techniques, son expertise, et les compétences qui en font un vrai leader. Les facteurs qui font d’une personne un bon gestionnaire en situation normale ne sont pas toujours les mêmes qui en font un bon leader en situation de crise.
En situation de crise, le leader doit toujours se rappeler que plus longue est la crise, plus il lui sera difficile de rester calme et confiant. Cela est cependant essentiel, car, perdre son calme aura pour effet d’augmenter la confusion et le stress chez ses collaborateurs. Le leader en situation de crise doit donner l’exemple, écrire, parler, bouger comme un modèle de contrôle de soi et de professionnalisme. Ainsi, il devra assumer un style de leadership « commandement et contrôle », quel que soit son style habituel.
En de telles circonstances, il n’est pas surprenant qu’on s’attende du leader qu’il ait une forte capacité d’analyser, de raisonner et de décider, qu’il soit proactif et bon communicateur, qu’il ait une excellente capacité d’écoute, un esprit ouvert, qu’il sache poser les bonnes questions et surtout, qu’il ait une forte capacité d’adaptation. La souplesse en situation de crise, autant dans l’approche que dans l’exécution du plan pour s’adapter aux imprévus ou aux situations nouvelles, est souvent ce qui fait la différence entre le succès et l’échec.
On souhaitera du leader en situation de crise une prise en charge efficace des responsabilités qui sont les siennes afin de stabiliser la situation, de diminuer les risques d’effets secondaires et d’éviter des problèmes supplémentaires. Aussi, on cherchera chez lui sa formation et sa préparation à affronter la crise, son expérience de la gouverne des organisations en situations difficiles. On voudra en outre qu’il s’approprie la crise, soit disponible, démontre ses habiletés de coordination, qu’il ait un style de leadership orienté vers les résultats, qu’il sache gérer son stress et celui des autres et qu’il sache enfin comment prioriser.
La crise la mieux gérée sera toujours celle que l’on peut éviter. À défaut, la préparation à la gestion de crise par l’identification des risques, la formation des dirigeants à la gestion de crise, l’élaboration en amont de plans d’action advenant le pire, l’anticipation et la fabrication d’outils de pointe qu’on garde en réserve « au cas où », l’étude de cas d’espèce vécus par d’autres entreprises du même secteur sont autant d’outils qui aideront le gestionnaire et toute son organisation à devenir un leader dans les situations de crise.