Le Stratège – De la crise de foie à la crise de foi

Par Richard Thibault, président de RTCOMM

La crise de foie, si elle a tendance à se répéter, n’est sans doute pas la seule raison pour consulter un médecin. Avec tout ce qu’on apprend de jour en jour sur le salaire des médecins, notamment sur celui des médecins spécialistes, et les diverses primes qui leur sont versées pour tout ou rien, le pauvre peuple est en proie à une véritable crise de foi à l’égard de celles et ceux qui, de tout temps, ont été au sommet de l’échelle sociale. Avec cette crise de foi, vient une sérieuse crise d’image publique qui, jusqu’à maintenant, a été mal gérée.

Qu’on l’appelle shaman, sorcier ou docteur, le médecin occupe une position sociale de premier choix dans nos communautés humaines. De fait, tous s’entendent pour reconnaître aux médecins, en raison de cette place de choix, le droit de recevoir un salaire au-dessus de la moyenne. Ils ont étudié longtemps pour acquérir la science qu’ils dispensent, sont en formation continue pour en maintenir le niveau et travaillent souvent à des heures où le commun des mortels préfère être chez lui, en famille. De surcroît, tous s’entendent pour offrir à nos médecins des salaires et des conditions de travail comparables à ce que leurs confrères et consœurs reçoivent dans les sociétés comparables.

Un dérapage catastrophique

Le dérapage a commencé quand on a appris que nos bons médecins recevraient des hausses de salaire nettement au-dessus de la moyenne, avec l’octroi additionnel de primes accessoires (forfait jaquette à 65 $ pour en porter une lorsqu’ils sont en contact avec des patients contagieux – tellement ridicule que la pression populaire a fait reculer l’association des médecins spécialistes  ; 200 $ l’heure pour participer à des réunions de travail ; primes d’assiduité de 100 $ pour être à l’heure, etc.).

De l’avis du simple citoyen, ce sont des rétributions nettement exagérées en regard de ce que l’État est prêt à offrir aux autres professionnels de la santé, qui font aussi un travail remarquable dans des conditions difficiles. De plus, la solution miracle à un meilleur fonctionnement du système de santé ne semble pas encore avoir été trouvée, à en juger par l’encombrement des urgences, notamment.

Le plan de gestion de crise permet d’agir sur les causes et sur les effets d’une situation de crise déclenchée par un risque matérialisé ou par la concrétisation d’un enjeu important qui peut changer les façons de faire de l’organisation ou les perceptions à notre égard. L’humain et la gestion de certains éléments intangibles, tels que l’image et les réputations de l’organisation et de ses dirigeants, sont au cœur des préoccupations des gestionnaires d’un tel plan. La proaction y est inhérente, les mesures implantées avant la crise et les actions entreprises pendant et après la crise sont toujours le fruit de prévisions visant à contrer les conséquences négatives en puissance.

Mais voilà que plutôt d’avoir anticipé le risque que présentait des primes à tout vent et des hausses salariales dénoncées par plusieurs médecins eux-mêmes (gênés de tant d’attention), la présidente de l’Association des médecins spécialistes a préféré… blâmer les médias.

Clairement, le concept suivant lequel la communication de crise s’amorce bien avant l’émergence de la crise et qu’elle doit être l’expression de tout un travail de gestion et de décisions prises en amont et en aval, impliquant le plus haut niveau de l’organisation, n’a été ni compris, ni mis en pratique.

En outre, meilleures sont l’image et la réputation de l’organisation avant la crise, meilleures sont ses chances de s’en sortir avec élégance et crédibilité grâce au capital de sympathie accumulé. Cet autre principe fondamental a aussi été oublié ici. Plutôt que d’affronter la tempête d’expliquer en quoi les médecins étaient justifiés d’un tel racolage, on a choisi de tirer sur le messager. Pas fort pour s’attirer de la sympathie !

Si le calme revient

Lorsque le calme sera revenu, l’organisation devra évaluer le déroulement de la crise pour revoir la façon dont les cartes ont été jouées, répertorier les faiblesses et les lacunes du plan de match, et prévoir les ajustements nécessaires. Dans cette activité de rétroaction, l’organisation devra :

  • revoir l’ensemble de son plan pour le modifier ou le bonifier, le cas échéant (de toute évidence, quelque chose n’a pas fonctionné pour les associations de médecins ; le gouvernement, quant à lui, portera les stigmates de ses largesses jusqu’aux prochaines élections);
  • refaire les simulations et installer de nouvelles mesures d’atténuation des risques ou encore renforcer celles qui n’ont pas donné les résultats escomptés;
  • s’assurer que tous les publics cibles gardent de l’organisation une image positive, qui ne nuira pas à ses activités futures. Pour les médecins, d’autres négociations viendront…

L’image et la réputation sont des constituantes vitales de la crédibilité d’une organisation. De fait, on se laisse toujours influencer par l’image de marque d’une association parce qu’on croit, à tort ou à raison, qu’une bonne réputation et une image favorable ne s’acquièrent jamais  seules. Toute situation qui risque de porter atteinte à l’une ou à l’autre doit faire l’objet d’une détection précoce, et d’un sérieux coup de barre après le dérapage. Le plan de retour à la normale doit alors prévoir comment rétablir les contacts avec celles et ceux dont l’opinion façonnera le futur de l’organisation, et comment préparer cette dernière à la continuité de ses opérations malgré la crise. En effet, la vie continue.

Après une crise, il faut inévitablement rétablir l’image de l’organisation qui, de fait, est le reflet de la relation que cette dernière entretient avec ses différents publics. La réputation d’une organisation se bâtit à partir des attentes rencontrées ou non de ses différentes clientèles à son endroit. Attendons donc la suite.