Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise

-Winston Churchill

Par Richard Thibault, président de RTCOMM

La crise la mieux gérée est, dit-on, celle qu’on parvient à éviter. Il arrive cependant que, malgré toutes nos précautions, la crise éclate et précipite l’organisation qui la subit dans la tourmente. Deux options s’offrent alors à elle : s’enfermer dans le déni ou encore profiter de cette chance pour en récolter le maximum d’avantages. À l’instar de Churchill, John F. Kennedy voyait dans une crise bien gérée une occasion d’améliorer sa situation et une opportunité de croissance personnelle.

En Chine, cette approche de la gestion de crise est millénaire et est représentée par l’idéogramme qui associe deux sinogrammes : « Wei » = danger et « Ji » = chance, événement pivot ou encore moment crucial dans le temps. Ainsi, l’expression chinoise reflète bien la double nature de la crise : le péril et le potentiel; la menace et l’opportunité.

Apprendre du passé

La discipline de la gestion de crise existe plus formellement depuis le début des années ’80. De fait, il est possible d’en situer l’origine avec la « crise du Tylenol » survenue en 1982. À cette époque, des capsules trafiquées de Tylenol, empoisonnées au cyanure, avaient été trouvées en circulation dans des pharmacies d’une banlieue de Chicago, causant sept décès. En retirant rapidement son médicament des tablettes, Johnson & Johnson démontra une parfaite maîtrise des événements et prouva, dans le même temps, son souci d’assurer la sécurité des consommateurs. Plus encore, cette tragédie l’incita à devenir le leader qui mit au point un processus anti-altération copié depuis par bon nombre d’industries. Impossible aujourd’hui d’ouvrir une bouteille de savon à mains sans se buter à l’emballage de plastique qui couvre l’ouverture de la bouteille.

Au Québec, il a fallu que survienne en 1984 la « fusillade de l’Assemblée nationale » pour qu’on réalise que nous avions encore des croûtes à manger en matière de gestion des risques et de crise. Fort heureusement, grâce au rattrapage effectué depuis, l’attention mise à mieux se préparer à gérer les crises au Parlement de Québec peut maintenant servir de modèle. Ces événements nous ont ainsi beaucoup appris sur le pourquoi des crises et sur la manière de les gérer.

Devoir et avantages

La préparation qu’une organisation se donne pour faire face à une crise éventuelle est un bel indice de la manière dont elle conçoit ses relations avec ses différentes clientèles (employés, fournisseurs, clients, environnement, investisseurs et bailleurs de fonds, etc.) et de la manière dont elle perçoit ses responsabilités sociales et civiles. Cela dit sans compter les avantages stratégiques et concurrentiels que confèrent de saines préoccupations en matière de gestion des risques et de crise. En effet, si les entreprises publiques y sont aujourd’hui forcées par leur conseil d’administration, les organisations éveillées en font, quant à elles, un objet de faire-valoir dans leurs campagnes de publicité, de marketing et dans leurs rapports annuels.

Un mécanisme d’autodéfense essentiel

Comme mécanisme d’autodéfense pour détecter les dangers potentiels avant qu’ils ne deviennent destructeurs, la gestion des risques, portion essentielle d’un plan de continuité des affaires, est incontournable. En effet, tout en travaillant à établir le scénario du pire, vous aurez l’opportunité de reconnaître toute une série de crises mineures ou majeures, d’enjeux et de menaces potentiellement nuisibles pour lesquels des mesures de contrôle ou d’évitement pourront être mises en place. Drôlement rassurant de savoir que vous n’avez rien laissé au hasard dans la gestion de votre organisation. D’autant plus que cet exercice vous aura sans doute aussi permis d’identifier de nouvelles opportunités de croissance. Un avantage non négligeable.

Lorsque la liste finale pondérée des risques aura été établie et que ces derniers auront été ordonnancés selon leur importance, votre cellule de crise définira la mise en œuvre des actions à poser et l’échéancier à adopter pour éviter les crises potentielles. L’implantation de ces mesures préventives permettra à votre organisation de développer une nouvelle capacité de réaction rapide face à la crise si les choses devaient mal tourner. Lorsque les nuages se seront dissipés, lorsque la crise sera derrière vous, peut-être vous sentirez-vous plus fort au lieu d’être complètement démoli et, peut-être même, la menace se sera-t-elle changée en opportunité grâce à votre prévoyance…

Lorsque la crise éclate, les premières mesures à adopter doivent viser, dans l’ordre :

La protection de la vie humaine. Le premier souci de l’organisation est de s’assurer de la sécurité de ses employés et des visiteurs qui se trouvent sur son site, ou encore de toute autre personne qui peut être directement victime malgré elle par le fait de l’entreprise qui subit la crise.

La création et le maintien d’un environnement sécuritaire. En crise, plus rien n’est normal. Pourtant, les employés chercheront des repères efficaces. Ils voudront continuer à effectuer leurs fonctions et assurer la continuité des opérations de l’organisation en dépit des circonstances. L’entreprise, quant à elle, a l’obligation, même au sein du chaos, d’offrir un milieu sécuritaire pour ses employés et ses visiteurs.

La protection des actifs de votre organisation. Simultanément, l’organisation activera les dispositifs prévus pour protéger ses actifs, ses stocks, la valeur de ses actions en bourse, la fidélité de ses clients, son image, sa réputation et celle de ses dirigeants. Lorsque ces conditions seront remplies, la situation sera considérée sous contrôle et le retour à la normale s’effectuera progressivement.

Malgré le fait que vous ayez mis le temps et l’énergie nécessaire à la confection de votre plan de gestion de crise, malgré le fait que vous ayez procédé à des simulations pour en vérifier l’efficacité, attendez-vous à ce que les choses ne se déroulent pas exactement comme vous l’aviez prévu. Beau paradoxe ! Il est cependant prouvé qu’une organisation qui s’est préparée à gérer les crises se tirera d’affaire plus facilement qu’une autre ayant négligé de le faire, même si la crise qui frappe est d’une autre nature que celles déjà prévues. Voilà peut-être ce qui faisait dire au philosophe allemand Friedrich Nietzsche: « Ce qui ne me détruit pas me rend plus fort. » Bien dit !