Par Richard Thibault, président de RTCOMM
Les journalistes se plaindront toujours du fait que, selon eux, certains dirigeants d’organismes et d’entreprises incitent leurs employés à adhérer à une forme d’Omertà, les « privant » ainsi des informations dont ils ont besoin pour faire leur travail « au nom du droit du public à l’information ». Ce débat a cours depuis des années et oppose régulièrement relationnistes et journalistes. L’actualité nous a fourni récemment quelques exemples d’entreprises qui ont jugé utile de rappeler la discrétion à leurs employés par une note écrite.
Cette volonté de discrétion survient généralement lorsque l’organisation visée est devenue, en raison d’une crise, le point de mire des médias. Si les membres du quatrième pouvoir ont le mandat de surveiller étroitement les organismes publics, les fonctionnaires ont, pour leur part, l’obligation d’observer un devoir de réserve et de discrétion à l’égard des événements dont ils ont connaissance dans l’exécution de leurs fonctions. Dans le privé, cette discrétion peut se faire encore plus stricte, car rien n’oblige personne à répondre à un journaliste, quelle que soit la raison de sa curiosité.
Pour paraphraser une maxime révolutionnaire, disons ceci : « ô Liberté, que de choses on justifie en ton nom ! ». Je suis toujours un peu méfiant lorsque j’entends un journaliste se réclamer du droit du public à l’information pour justifier son approche ou sa frustration quand il n’obtient pas ce qu’il désire. Entre adultes majeurs et vaccinés, reconnaissons que les médias ne sont pas des œuvres de charité. Ce sont des organisations dont la raison d’être consiste à recueillir des informations pour les traiter et les revendre. Par ailleurs, il y a une telle compétition pour le « scoop » que certains journalistes sont prêts à bien des courbettes pour dénicher et obtenir des primeurs et des exclusivités. J’ai même déjà vu deux journalistes de la même salle des nouvelles en compétition pour le même « scoop »…
Et puis, il faut bien nourrir la Bête… Si la plupart des journalistes travaillent honnêtement à amasser et à publier l’information, d’autres œuvrent insidieusement à créer la nouvelle. De ce fait, certaines déviances s’observent dans le milieu au détriment de l’intégrité : parlons de cette fausse nouvelle fracassante qu’un média publie un jour sans avoir fait les vérifications qui s’imposent et que l’on corrige en catimini le lendemain… Pire encore quand le journaliste ignore intentionnellement les corrections faites à sa nouvelle et, comme si de rien n’était, relance sa « nouvelle » sur une autre piste dans le journal du lendemain…
Parlons aussi de ces journalistes militants qui épousent une cause et, faisant fi de l’impartialité, donnent prépondérance au point de vue conforme à leur vision des choses… Parlons enfin de ces journalistes qui bousculent une adjointe, une bonne journée en fin d’après-midi, caméra à la main et tous phares allumés, l’assurant « qu’elle y goûtera au bulletin de nouvelles » si elle n’obtempère pas. Tous ces faits sont réels et je pourrais donner de nombreux autres exemples de même nature. Vous aussi sans doute.
Compte tenu de ces exemples, on serait donc en droit de se demander si c’est bien au nom du droit du public à l’information qu’on déchire son linge lorsque certaines organisations limitent ou contrôlent l’information qui circule. N’y a-t-il pas plutôt une frustration croissante chez certains à voir leur filer entre les doigts le « scoop », celui qui leur permettrait de se distinguer par rapport à la compétition et faire vendre davantage de copies ?
Oui, les dirigeants d’organismes publics ou financés par l’argent public doivent collaborer avec les médias et ont un devoir de transparence. Il faut pourtant savoir nuancer. Toutes les informations méritent-elles publication, surtout quand elles sont parcellaires et hors contexte ? Est-il d’intérêt public de savoir que dans tel organisme public ou telle autre entreprise, un dirigeant se livre la fin de semaine à des rencontres privées entre adultes consentants ? En quoi connaître les problèmes familiaux d’un tel dirigeant contribue-t-il à informer et à une meilleure compréhension de la nouvelle si ces faits n’ont aucun rapport avec l’événement qu’on couvre ?
Il est même possible qu’un média agisse en tant que « boîte à lettres » d’un concurrent ou d’un adversaire qui veut discréditer une personnalité publique simplement pour servir ses propres intérêts. Cet usage abusif n’est en rien lié au droit du public à l’information. Peut-être même s’agit-il d’un certain besoin de voyeurisme, de sensationnalisme ou de jaunisme de la part du média qui publie la nouvelle ?
La majorité des journalistes et des médias font un travail consciencieux, respectueux des points de vue, livrant une information globale et nuancée. Cependant, pour se prémunir contre les excès cités plus haut, les organismes, publics ou privés, vont chercher en toute légalité à encadrer leurs relations avec les médias et à se donner des mécanismes pour mieux contrôler la diffusion des informations qui les concernent. La transmission aux médias d’informations sous le sceau de la confidentialité, de même que la transmission d’informations à caractère anecdotique, qui intéressent les journalistes moins responsables, car elles font de bonnes histoires, sont des pratiques prohibées dans toutes les organisations que je connais.
Les médias ne sont pas des tribunaux d’inquisition. Les porte-parole des organisations et les journalistes sont tous des professionnels de l’information. Rappelons-nous que le droit des uns s’arrête là où celui des autres commence et apprenons à mieux travailler ensemble au nom du véritable droit du public à l’information.