Le Stratège – Réussir son débat des chefs

Par Richard Thibault, ABCP, président de RTCOMM

 

Les gens ont beau être plus instruits, la vie politique est aujourd’hui beaucoup plus complexe qu’avant. Pour se former une opinion, les gens utilisent des éléments très simples pour s’y retrouver. On reste dans le rapport affectif entre le politicien et son public. Le non verbal y a toute son importance. Le débat des chefs, en campagne électorale, peut donc devenir l’un des moments où le sort de cette dernière se dessine, mais où le participant au débat risque de tout perdre sur cette seule donne et souvent, pour des questions de forme

 

Dans les débats contradictoires, même si nous accordons beaucoup d’importance au contenu, c’est souvent bien davantage le contenant qui aidera nos chefs politiques à faire bonne impression. En effet, les gens se rappellent rarement de ce qui a été dit en pareille circonstance, mais se rappelleront longtemps de l’allure convaincue, déterminée, compétente que leur favori affichait lors du débat. Le contenu n’est pas tout et la manière d’être dans les débats, l’impression générale que les chefs laisseront est au moins aussi importante.

 

Évidemment, cela ne veut pas dire qu’il faille négliger le contenu pour autant car il ne faut pas donner l’image d’une caisse de résonance vide. En fait, pour avoir souvent participé à la préparation de tels débats des chefs, j’ai toujours dit à mes « poulains » qu’ils doivent posséder le contenu au point qu’ils sembleront improviser. Un chef qui lit le texte de ses interventions perd le naturel dont il a besoin pour s’imposer. Il ne faut rien ménager pour faire le tour de l’ensemble des dossiers qui risquent d’être abordés. Il faut faire des recherches et préparer avec soin les différents éléments qui étayeront la présentation des différents points de vue.

 

Il faut également trouver les arguments que les adversaires voudront employer pour défendre la thèse contraire. Il faut voir à l’avance la manière avec laquelle on peut les prendre en défaut en raison de leurs prises de position antérieures sur les différentes questions abordées par le passé ou imaginer les arguments qu’ils voudront invoquer à l’encontre de notre position dans le débat. Un débat des chefs, ça se joue comme une partie d’échecs : deux coups en avant. Il faut donc se préparer, surtout pour l’introduction et la conclusion, où chaque participant aura tout l’espace voulu pour se faire valoir.

 

Mais avant même de commencer à se préparer, il est une série de questions de nature stratégique qu’il est important de se poser. Il faut d’abord tâcher de déterminer à l’avance ce que chaque participant veut faire de ce débat. Est-ce pour conforter sa position, mieux faire entendre son message ou encore pour discréditer ses adversaires ? Chaque participant doit se demander quel est l’apport stratégique du débat dans l’avancement de sa position et de sa campagne. Il doit s’interroger sur ce qu’il veut que les gens en retiennent et ce, avant même de commencer à se préparer sur les thèmes du débat.

 

En clair, chaque participant doit se demander quel est le titre qu’il voudrait voir dans le journal du lendemain du débat. Avant même de commencer à se préparer au débat, il faut se demander ce qu’il peut nous apporter en termes de positionnement stratégique. Le reste est une question de talent, d’opportunité à saisir et en découlera naturellement.

 

D’autres questions préalables portent sur le cadre général dans lequel l’événement aura lieu ainsi que les règles du débat qui seront respectées. Cette dernière question est fondamentale si on ne veut pas que cet exercice qu’on considère comme un échange d’idées et de point de vue se transforme en foire d’empoigne, au cours de laquelle chacun essaie de crier plus fort que l’autre. Tous ressortent perdants de ce type d’exercice et au premier chef, les personnes qui assistent au débat que ce soit en direct, à la radio ou à la télévision.

 

À ce stade préliminaire, il est important de connaître la durée totale du débat et les modalités de prise de parole, de s’entendre sur l’identité du modérateur ainsi que sur les règles qui guideront ses interventions, de connaître les thèmes abordés et l’identité de celles ou ceux qui poseront les questions, de connaître le décor et l’ameublement dans lesquels nous devrons évoluer, si le débat aura lieu devant public et enfin, de s’entendre sur les cadrages à observer par le réalisateur s’il s’agit d’un débat télévisé. Toutes ces questions sont essentielles au bon déroulement du débat et doivent avoir trouvé réponse avant qu’il ne débute.

 

S’il faut tenir la comparaison avec un match de boxe, même si les analystes attendent généralement le coup fatal, les victoires aux points lors des débats sont plus nombreuses que les K.O. En effet, une mise au tapis décisive arrive rarement et ce que le public retient, c’est une foule de petites choses qui les confortent dans leur choix. Et pour les politiciens, il est important de savoir qu’un gain dans cette arène ne se traduit pas automatiquement par un gain électoral. Si les débats donnent rarement une victoire claire et nette à un chef, ils sont toutefois toujours déterminants pour la suite des choses. Et rappelons-nous enfin qu’il est impérieux de marquer des points dès le début du débat car dans un débat télévisé moyen, la moitié des téléspectateurs a disparu après 45 minutes.